mercredi 3 avril 2013

écoute la pluie

Dehors les éclairs déchiraient un beau ciel de plomb. J'ai eu soudain un fou rire, immense, irrépressible, j'ai couru jusqu'aux toilettes pour tenter de me calmer, mais c'était impossible. Les larmes coulaient. La pluie intérieure.
Ce fou rire incongru n'était sans doute que l'effet de ma sidération devant la béance qu'avait ouverte l'homme du métro. Tu étais sur l'autre rive, inatteignable et pourtant si proche. Je tentais de trouver une passerelle entre lui et toi, entre nous trois, quelque chose d'infiniment ténu mais qui tisserait un lien que je pressentais confusément, quelque chose d'étrange provoqué par sa chute, dont l'image imprimée dans ma mémoire venait s'ajouter à celles qui nous rapprochent depuis longtemps, les tiennes. Son corps en suspens s'inscrivait soudain parmi elles, bousculant notre petit monde organisé que, déjà, ton départ à Nantes avait perturbé.
Lorsque je suis revenue dans la salle, d'autres clients étaient arrivés, et j'ai lu dans le regard du serveur qu'il désirait très fort que je paie et que je quitte les lieux. Ce que j'ai fait. J'avais encore un long chemin à parcourir, mais la marche, même sous ce déluge, me faisait du bien, je sentais la pluie se faufiler dans mon cou, ruisseler sur mon visage en m'aveuglant parfois, c'était un abandon total, quelque chose d'infiniment doux, une volupté de chagrin et de liberté que je m'autorisais enfin.
Peu à peu, la violence à laquelle j'avais tenté de résister pendant toute la nuit semblait s'atténuer. J'avais un désir immense de paix. Peut-être fallait-il que je cède à cet homme, à son geste, à sa protestation silencieuse dont j'ignorerais toujours la cause, mais à laquelle il m'avait associée avec son sourire. Je le laissais s'installer en moi, avec tout son mystère, je l'adoptais.
© Michèle Lesbre

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